J'avais vu sur le net quelques photos de villages en nid d'aigle que j'avais très envie d'aller voir de plus près. De Gunib, j'ai donc fait une excursion en direction de Tchokh et Gamsutl.
Bakhtyar Gantaev : "Пандур и зурна" (lezginka avar)
On ne monte pas vite en tricycle, mais aucune importance : calée dans ma chaise longue, je pouvais savourer le paysage. Et j'ai même pu pique-niquer confortablement assise à midi, à l'ombre d'un arbre et de stèles ornés de foulards et bandeaux de tissus (je ne sais pas précisément ce que c'était).
Les petites routes du Daguestan central ne sont pas très bonnes, mais elles sont tranquilles, et le paysage est varié.
Il était presque 3 h 1/2 quand je suis arrivée au pied du sentier qui relie la petite vallée du Tsamtichay au village-fantôme de Gamsutl. Faut dire que je ne suis pas partie très tôt de Gunib, le petit-déj était copieux chez Zimfira et Pakhrudin.
J'ai laissé le tricycle un peu avant les dernières maisons habitées vers 1300m, là où la piste devenait raide et caillouteuse, et j'ai pressé le pas pour arriver à Gamsutl (1700m) avant le coucher du soleil. Timing parfait : j'ai atteint le site au moment où l'éclairage le rend si photogénique.
Des randonneurs russes m'ont expliqué qu'à l'époque soviétique, il y avait l'électricité, un Med-Punkt (un petit dispensaire) et une petite salle de cinéma.
Gamsutl a perdu ses derniers habitants dans les années 1960.
Un autre petit hameau en contrebas, Kurib, ne compte plus que 2 ou 3 maisons habitées.
J'ai passé une bonne heure à profiter de la vue et à flâner dans les ruines et sur le piton juste au-dessus.
J'ai regretté de ne pas avoir monté de quoi bivouaquer, il y a un superbe "spot" juste au-dessus du hameau : une terrasse en pelouse plate adossée à la roche, avec une source d'eau fraîche 10 minutes en contrebas, et une vue magnifique... Mais bon, mes épaules ne sont pas encore (ou ne sont simplement plus) aptes au portage, tant pis.
Je suis donc redescendue à la nuit tombante avec les derniers randonneurs russes, et j'ai bivouaqué au pied de la montée, sans vue mais confortablement, avec une pelouse pour ma tente et des rochers arrondis de diverses tailles comme mobilier de jardin, en compagnie de quelques paisibles vaches.
Gunib est un gros village avar d'environ 2600 habitants, situé à peu près au centre géographique du Daguestan. Les Avars, sans e, sont le peuple le plus nombreux du Daguestan (un peu plus de 1/4 de la population).
Je croyais être presque arrivée quand j'ai passé le panneau indicateur "Gunib", mais le centre-ville est presque 300 m de dénivelé au-dessus, et la citadelle encore 300 m plus haut...
La montée est raide : Gunib est un village perché typique du Daguestan central. Depuis ces villages en nid d'aigle, on voit arriver de loin les ennemis, ou les tricycles couchés. Ainsi, j'ai été filmée par un smartphone pendant que je montais tout doucement, depuis une maison située 3-4 lacets plus haut, et ces images sont arrivées au village une bonne demi-heure avant moi. Eh oui : la lumière se propage nettement plus vite que le son, qui va lui-même nettement plus vite que mon tricycle...
Quand je suis enfin arrivée sur la grande place du village, j'ai d'abord visé la poste pour une nouvelle tentative d'expédition de mes confitures. Le temps que je sorte mes 2 pots du fond des grandes sacoches, un sympathique petit attroupement s'était formé devant mon tricycle. J'ai pu faire essayer mon engin à 2 gars, pendant que les autres m'expliquaient où je pourrais loger et ce qu'il fallait visiter.
A Gunib, la postière était aimable, et ne voyait aucune objection à expédier un colis pour la France, à condition que ce ne soit pas dans des pots en verre. J'ai fait la tournée des échoppes autour de la place centrale, en me demandant bien dans quoi j'allais mettre l'urbetch et la confiture de kyzyls.
Ce fut laborieux, mais j'ai fini par revenir à la Poste avec des boîtes cylindriques en plastique bien plus larges que les pots de confiture, du gros scotch, et 8 rouleaux de PQ pour caler le tout dans un carton Potchta Rossii. Avec en prime un 3ème pot à expédier : quand j'ai expliqué dans la petite quincaillerie ce que je voulais emballer, la baboushka m'a mis sous le nez un bocal de sirop aux petites pommes de pin en me disant "Regardez, ça pourrait vous intéresser". Tout à fait !
Ensuite, j'ai eu la flemme de monter encore de 300m (dénivelé, pas distance) jusqu'à Gunib-le-Haut, je suis allée me poser à l'hôtel Belye Zhuravli. J'ai tâtonné un peu pour trouver l'entrée : l'hôtel encore en travaux n'était pas signalé, et la réception n'est pas au rez-de-haussée. L'accueil était très agréable, et le prix plutôt bas par rapport au standing ; du coup j'y ai passé 3 nuits, pour visiter tranquillement et confortablement la région.
J'ai hérité d'une spacieuse chambre 3 places avec vue sur la citadelle, et nous n'étions que 2 pensionnaires à utiliser la salle de bains commune impeccablement propre de mon étage.
La propriétaire Zemfira m'a invitée à dîner avec la famille au 5ème étage. J'ai fait la connaissance de son mari Pakhrudin, directeur du musée national à Makhachkala. Zemfira et Pakhrudin ont fait une fois un court voyage en Italie et en France, ils rêvent d'y retourner : on se reverra peut-être dans les Alpes un jour.
Entre autres échanges culturels informels, j'ai eu droit à une petite démonstration d'un exercice de diction. Par exemple, dire Sept cent soixante-dix-sept grenouilles coassaient sous le pont en langue avar, ça dépote ! Plusieurs langues caucasiennes, dont l'avar, possèdent en effet une belle collection de consonnes dites non pulmonaires, dont 2 que j'ai entendues pour la première fois chez mes hôtes avars, tɬʼ et qχʼ (c'est leur notation en alphabet phonétique international, vous voilà bien aidés...).
Il y a encore plus de consonnes en abkhaze, mais l'avar en a 2 ou 3 vraiment originales. Certaines de ces consonnes, qui n'existent dans aucune langue indo-européenne, sont listées et enregistrées ici : fr.wikipedia.org/wiki/Consonne_éjective. Ou alors, écoutez attentivement les paroles des chansons en avar, on entend parfois passer ces sons exotiques...
La descente du col suivant, entre Levashi et Khadzhalmakhi, se terminait par un tronçon raide. Et en tricycle couché, on prend bien de la vitesse quand ça descend.
Shamil Gadzhiev : "По горным дорогам" (chant darguine en version russe)
Du coup je n'ai pas pris le temps de photographier les échoppes qui exposaient des dizaines de réfrigérateurs à vendre en bord de route. J'ai fait une pointe à 68 km/h, avec une petite frayeur quand j'ai serré un peu plus le frein gauche que le droit dans la dernière ligne droite...
J'ai traversé Khadzhalmakhi au moment d'une panne d'électricité : pas de tchudu à cause des fours en panne, alors je me suis ravitaillée en glace crémeuse et jus de fruit (le Dagestan produit de bons jus de fruits).
Dans le bourg suivant, Gerbebil, j'ai voulu poster mes pots de confiture, mais les 2 agents au guichet n'avaient aucune envie de faire ce travail. Ils ont prétendu que seul le bureau de poste de Makhatchkala peut expédier des colis pour l'étranger. J'ai eu beau protester en leur montrant la note de service Почта России affichée au mur qui disait le contraire, je n'ai rien pu en tirer. J'ai donc continué à monter vers Gunib avec mes pots de confiture dans mes sacoches...
En remontant la vallée de la rivière Karakoysu, le relief devient progressivement plus spectaculaire et varié.
Dans une station-service en construction où je me suis arrêtée pour faire un plein d'eau de source, Omar m'a recommandé divers sites à visiter dans le secteur, et voulait même m'inviter dans son village Salta, mais c'était trop loin et trop haut pour ce soir. Quand je lui ai demandé s'il n'y avait pas plutôt des coins tranquilles pour bivouaquer à proximité, il m'a conseillé de faire étape dans un gîte non signalé, un peu avant l'embranchement pour Salta et le 2ème barrage hydroélectrique.
C'est ainsi que j'ai fait la connaissance de Raïssa, une modeste retraitée qui projette d'arrondir ses fins de mois en faisant rénover une bâtisse pour en faire une gostinitsa, avec 6 chambres et un tout petit restaurant. Les douches étaient en construction, et le WC à la turque derrière la maison n'avait pas de toit, ce qui lui permet d'être mieux aéré. Mais le rapport qualité/prix de la demi-pension était très correct !
Comme il faisait grand beau lors de mon départ le lendemain matin, Raïssa m'a suggéré d'installer une ombrelle sur mon tricycle. Je crois que je le ferai un de ces jours, à l'occasion d'une vélo-parade à Grenoble, mais sinon, en route, un chapeau est quand même plus pratique...
j'ai remonté un bout de côte en taxi. Le conducteur, un ex instituteur darguine à la retraite, a eu du mal à faire rentrer le tricycle dans sa voiture, mais ne voulait pas lâcher l'affaire. Pas de problème, on est partis avec la haillon à moitié ouvert tenu par une corde, ça faisait une bonne raison de rouler pas trop vite.
Il m'a déposée comme convenu dans un petit village au début de la montée du col Nagrelabek, entre 2 averses et dans le brouillard.
Il s'est remis à pleuvoir pendant que je montais. La position allongée sur le tricycle soumet les vêtements habituellement imperméables et respirants à rude épreuve, car l'eau peut plus facilement stagner et s'infiltrer par le col, les poignets et la fermeture-éclair ventrale, au lieu de s'écouler. J'étais donc assez humide et contente qu'un brave automobiliste s'arrête à ma hauteur pas seulement pour observer mon tricycle, mais aussi pour m'inviter à passer la nuit chez lui à Mekegi.
Il m'a aussi proposé de m'y conduire en voiture, mais bon, faut pas abuser : je veux pouvoir compter mes cols dans la mise à jour annuelle pour le Club des Cent Cols... Alors, il m'a attendue un peu plus loin pour me guider depuis l'embranchement de la petite route qui menait vers sa maison, juste après une série de cabanons de découpe de pierre installés en bord de route.
Accueil simple et chaleureux. J'ai pu me changer et faire sécher mes vêtements tout en mangeant un goûter-repas copieux. J'ai pris une douche chaude dans la buanderie, et regardé la télé dans le salon en chantier pendant que Bagand continuait les travaux de rénovation de la maison, et que sa femme Aniset s'occupait d'une petite-fille lourdement handicapée.
Au petit-déj, on m'a fait goûter de l' urbetch. C'est une spécialité daguestanaise qui a la consistance du Nutella, à base de graines de lin pressées légèrement torréfiées et de noix moulue, avec du miel ou de l'abricot. La maîtresse de maison avait aussi préparé de la confiture de kyzyls (des baies de cornouiller) : je suis repartie pendant une éclaircie avec un pot de chaque pour la route...
Vous vous souvenez peut-être de Radik, le Daguestanais que j'avais rencontré sur les rives du Baïkal. Radik était tabasaran. Il m'avait expliqué - et d'autres Daguestanais me l'ont dit aussi - que sa langue est un peu compliquée : elle comporte une quarantaine de cas de déclinaison. Le tabasaran est une langue aux sonorités originales, caucasienne mais influencée par 2 langues turcophones voisines (azéri et kumyk).
On m'a aussi dit à plusieurs reprises que les Tabasaran font de beaux tapis. Alors, forcément, j'ai eu envie d'aller explorer le district tabasaran, en commençant par son chef-lieu Khutchni, où j'espérais pouvoir visiter des fabriques de tapis.
En chemin, Magomed-Rasul, un cycliste qui passait par là en voiture, s'est arrêté pour discuter et m'offrir des raisins et des prunes. Il m'a demandé si j'avais lu les récits d'Alexandre Dumas dans le Caucase, et m'a invitée à Derbent si ma route repassait par là. Ensuite, un peu plus tard, je me suis planquée pour bivouaquer près d'un petit col agréable : le ciel se dégageait, j'étais un peu fatiguée des nombreuses mini-intervious et photos-vidéos, je voulais me coucher tôt, et si je ne me cachais pas, je serais sûrement invitée par des villageois du prochain bled...
Le lendemain à Khutchni, j'ai eu vite fait le tour de ce bourg plutôt terne, tout en longueur le long d'une vallée pas bien large. Je n'ai pas trouvé de fabrique de tapis, et pour cause : Farkhad m'a expliqué que la dernière avait fermé depuis plus de 10 ans ! Bravo les mises à jour des guides touristiques...
Farkhad m'a guidée jusqu'à l'antre d'un cordonnier qui a recousu mes chaussures cyclo en refusant de me faire payer, puis il m'a invitée à déjeûner avec sa famille : khinkali, tchudu, salade et poulet du jardin, kompot de mûres,... tout était fait maison.
Farkhad avait une technique intéressante pour se débarrasser des guêpes qui venaient se servir à notre table : à l'aspirateur ! Enfin, quand j'ai expliqué par quelle route je comptais repartir, Farkhad m'a déconseillé cette option : à moins de 5 km de Khutchni, cette route allait devenir une piste difficile, il pensait que j'aurais du mal à passer avec mon trike. A la place, il m'a recommandé d'aller voir la cascade à quelques kilomètres de là, puis de retourner à Derbent pour rejoindre une autre route.
A l'auberge près de la cascade, Salman m'a appris qu'il y avait un atelier de tapis dans son village d'origine, Arkit.
J'ai donc fait demi-tour pour rejoindre une autre vallée un peu plus à l'ouest.
Après une invitation pour un thé + goûter chez l'institutrice de Yagdig, et une rude montée, je suis arrivée à Arkit. Le village n'a rien d'extraordinaire mais le site est joli. Nazar, qui m'avait doublée en voiture, m'avait invitée : nouveau thé, puis dîner en terrasse avec sa femme Intiza, leurs 3 enfants, et sa mère Mina, une baboushka avec des dents et un cœur en or.
Curieusement, alors qu'ils ont équipé leur maison d'une salle de bain avec douche, chauffe-eau et machine à laver, les WC à la turque sont dans une cabane malodorante au fond du jardin. Je reverrai ce type d'aménagement dans plusieurs autres villages daguestanais.
Des voisins sont ensuite venus prendre un autre thé (évidemment, tout le village était au courant de mon arrivée). C'est que, voyez-vous, j'étais apparemment la première touriste étrangère, et avec certitude le premier tricycliste couché, à visiter le village d'Arkit ! Tverüz, une amie de Mina, a essayé le tricycle et m'a invitée pour le lendemain.
Le lendemain, Tverüz et Mina m'ont proposé une visite guidée approfondie du village. J'ai pris un thé au Med-Punkt, j'ai visité la poste, la maison de la culture locale avec son mini-musée, l'école vide, et le jardin d'enfants très animé. Je suis arrivée pendant un cours de danses caucasiennes : il a fallu que j'esquisse quelques mouvements de lezginka, encerclée par les bambins qui formaient une ronde endiablée, sous les encouragements des puéricultrices...
Par contre, la fabrique de tapis était fermée : congés annuels, zut ! J'ai juste pu visiter une maison dans laquelle il y a avait un métier et un début de tapis.
Et j'ai remarqué chez mes hôtes de jolis mini-tapis carrés, faits maison, destinés à garnir chaises et tabourets. Forte de mon expérience du taarof iranien, j'ai eu la politesse de refuser quand Tverüz m'a proposé de me faire cadeau de 2 de ces mini-tapis (elle m'avait déjà offert des chaussons en laine et un foulard...). Mais j'avoue que j'ai été presque tentée d'en emporter un pour le siège du trike, ça aurait été classe !
Derbent est la deuxième plus grande ville du Daguestan, et, depuis qu'elle est russe, la plus ancienne ville de Russie. Ah non, pas tout-à-fait : troisième ville du Daguestan.
La deuxième plus grosse ville est maintenant Khassavyourt, dans la plaine au nord, tout près de la Tchétchénie.
Au fil des siècles, Derbent a appartenu à tous les empires qui se sont disputé la région, sous divers noms faisant référence à son rôle de Porte : la Barrière en persan (Darband, origine de son nom actuel), la Porte des portes en arabe, la Porte de fer en turc...
Interprète non identifié : "В моём сердце" (musique azérie du Dagestan)
La ville compte une importante minorité azérie, et on sent un peu plus l'influence persane que dans le reste du Daguestan.
Outre des mosquées chiites, on trouve davantage de douchettes dans les WC .
C'est dans un petit restau azéri de Derbent qu'on m'a dit pour la deuxième fois que j'avais acquis le statut de star locale, grâce à mon tricycle et à diverses photos ou vidéos publiées sur internet par des Daguestanais qui m'avaient rencontrée. Si vous les trouvez, faites-moi signe : je ne les ai pas vues, même en cherchant avec quelques mots-clé russes.
J'ai flâné dans la vieille ville, située entre les anciens remparts. Les murs de pierre sont mis en valeur par d'élégants assortiments de gazoprovod typiques de l'empire soviétique.
Une particularité : ces pierres sont truffées de coquillages, on en trouve même dans le béton et le macadam.
Une famille lezguienne m'a invitée à prendre un thé, généreusement accompagné de tchudu (чуду).
Le papi m'expliquait qu'ils vivaient confortablement malgré sa modeste retraite car ses 2 filles, dont une dentiste, travaillent à Moscou. Mais la récente réforme des retraites va faire baisser leur niveau de vie, et la cote de Putin...
J'ai bien sûr visité la forteresse Naryn Kala et ses fameux remparts qui descendent de la montagne vers la mer.
Ils barraient la route entre ce qui est maintenant la Russie et l'Azerbaïdjan (la frontière actuelle est à une quarantaine de kilomètres au sud). Un site à voir tôt le matin de préférence.
En redescendant, j'ai visité une ancienne église arménienne transformée en musée de l'artisanat. Plusieurs tapis tabasaran étaient exposés, ce sont les plus réputés du pays.
Enfin, j'ai testé 2 plages, dont une à éviter, près de la conserverie... Il faut aller au nord de la ville pour trouver de l'eau plus propre.
Pendant mon début de séjour au Daguestan, j'ai passé plus de temps dans l'eau de mer que sur mon tricycle.
Sultan Uragan & Murat Tkhagalegov : "На дискотеку"
Surtout que j'ai finalement renoncé à faire le trajet Makhatchkala - Derbent entièrement sur 3 roues : la côte n'est pas vraiment belle,
et pour éviter la grande route, on perd un temps fou dans des chemins pas très roulants.
Mes applis Maps.me ou Alpine Quest basées sur les cartes OSM, ou GoogleMaps, ne suffisaient pas toujours pour optimiser l'itinéraire. L'équivalent russe Yandex Karti était un peu plus à jour, mais parfois optimiste sur ce qui est "cyclable". Ou alors, il faut comprendre qu'en russe, "cyclable" veut dire qu'on peut passer avec un vélo, en pédalant, en le poussant, ou en le portant (un peu comme dans certains topos du Club des Cent Cols...).
Pousser ou tirer le tricycle sur des galets ou du sable, ou entre des buissons épineux le long de la voie ferrée, c'est bien plus galère qu'avec un vélo "normal". Et quand ça roulait, dès qu'il y avait des ornières, avec mes roues "20 pouces", j'entendais mes sacoches râper le sol, oy... J'ai fini par faire en taxi le tronçon Izberbash - Derbent.
Ca ne m'a pas empêchée de profiter de la côte. J'ai passé entre 2 et 5 heures par jour à brasser gentiment de l'eau de mer, soit l'équivalent en 1 semaine de 5 mois de balnéothérapie au rythme de mes prescriptions de kiné à Grenoble. Ca m'a fait beaucoup de bien !
Tout ça me laissait quand même pas mal de temps libre : je vous propose une petit aperçu des distractions des vacanciers du coin sur la côte daguestanaise.
Les Daguestanais aiment danser : dans les restaus, sur les parkings, dans les jardins d'enfants...
Sur les promenades ou dans les parcs, une attraction assez populaire était le gnon-mètre. C'est une machine à sous qui, pour la modeste somme de 20 roubles, permet de donner un grand coup de poing sur une cible montée sur ressort, et de voir afficher un score proportionnel à la violence du coup.
Bien sûr, dans les parcs, on trouve aussi des stands de tir... à la kalashnikov.
Les bars à bière côtoient les mosquées sans problème. Ils sont parfois équipés de rideaux comme des isoloirs, pour qu'on puisse siroter tranquillement sans se faire voir de l'imam ou des voisins.
J'ai aussi vu d'autres attractions moins photogéniques, dont un petit chapiteau où se tenait un concours d'ingurgitation de biscuits type Petit Lu et divers jeux d'adresse.
Et bien sûr, j'ai eu quelques occasions de faire essayer mon tricycle, ou de le prêter aux enfants, petits ou grands, hébergés dans le même hôtel que moi.
A Izberbash, j'ai trouvé tout près de la plage municipale un petit hôtel idéal pour moi : le "Dzhumeirah", pas trop cher bien que confortable et propre ; mon balcon avec corde à linge donnait sur la cour intérieure équipée d'un préau qui faisait restau et garage à tricycle. Les proprios, une famille darguine, m'ont invitée à déguster mon premier tchudu (чуду) le soir de mon arrivée. C'est un plat national qui ressemble vaguement à une pizza calzone dans le principe mais en plus moelleux, avec des ingrédients différents (fromage frais et herbes, ou viande patates oignons...). En fait c'est assez proche de l' osetinskii pirog ou du khatchapuri géorgien.
Ma première étape daguestanaise n'a pas été bien longue : j'ai dû réparer ma première petite crevaison ( roue avant, facile sur un trike : même pas besoin de sortir la roue pour changer de chambre à air ! ) avant de partir de Makhatchkala. Ma pompe a refusé de pomper, mais par chance, dans la deuxième petite libraire-papeterie où je cherchais —toujours sans succès— une carte détaillée du Daguestan, le gérant était cycliste et il m'a fait cadeau de sa pompe.
J'ai tâtonné un peu pour sortir de Makhatchkala sans passer sur le grand pont au gabarit autoroutier qui s'élevait par-dessus la voie ferrée : déjà sur le papier, ça ne fait pas vraiment envie, mais sans bande d'arrêt d'urgence et avec des Daguestanais habitués à passer à 4 voitures sur 3 voies, je ne voulais surtout pas tenter l'expérience...
Ensuite à peine arrivée à Kaspiisk, j'ai visé une petite plage et je me suis baignée. Et enfin, comme je voulais éviter la grande route de transit Makhatchkala - Bakou, j'ai perdu du temps à zigzaguer sur des chemins plus ou moins orniérés, dont une partie sont des culs-de-sac.
Bref, la nuit allait tomber quand je suis arrivée dans le secteur des sanatoria et autres centres de loisirs de Manas. Un des nombreux automobilistes qui a ralenti pour zyeuter mon tricycle et me saluer m'a conseillé de continuer après le grand sanatorium pour aller passer la nuit dans une des bases de loisirs, celle avec une pancarte Tchéguéou.
J'y suis donc allée, un peu intriguée par le mur de clôture qui faisait plus penser à une caserne qu'à un camping ou une base de loisirs. J'ai ensuite remarqué un grand portrait de Ramzan Kadyrov sur le mur de l'accueil, et un drapeau tchétchène.
Un gars jovial m'a dit en riant que la Tchétchénie était en train d'annexer le Daguestan, avant de m'expliquer que j'étais tout simplement dans un centre de vacances de l'Université d'Etat Tchétchène (ЧГУ). D'ailleurs, d'autres murs étaient ornés de citations du mégalo-président Ramzan Ahmadovitch Kadyrov.
Plutôt qu'un emplacement pour ma tente ou qu'une location de petit bungalow, j'ai eu droit à une des 2 maisons 'VIP", puis j'ai dîné avec la famille du directeur. On m'a expliqué que les Tchétchènes sont les plus hospitaliers des peuples du Caucase (je manque de recul pour confirmer ce point, mais... j'ai bien l'impression que ce sont les plus chauvins), et qu'il n'était pas question que je paye quoi que ce soit. Ils étaient aussi fiers de me dire que leur centre de vacances et leur plage étaient les plus propres du secteur : ça, c'était vrai. Parce que avant d'arriver là, j'avais vu pas mal de sacs poubelles ou autres détritus le long des routes ou chemins. Après un petit discours d'un prof, que les étudiants ont écouté rangés au garde-à-vous, j'ai pu assister à une séance de lezginka, la plus connue des danses du Nord Caucase. Je n'ai presque pas de photos, 2 des danseuses n'ont pas voulu que j'en prenne. Puis extinction des feux.
Le lendemain, quand je me suis levée, mes hôtes et la plupart des étudiants étaient déjà partis à Derbent pour une cérémonie de remise de diplômes. Mais le directeur avait laissé des consignes à la cheftaine de la cantine : on m'a servi un copieux petit-déj avant mon bain de mer. La cuisinière a papoté avec moi ; ses 2 enfants ont à peine connu leur père, enlevé par "les fédéraux" et tué pendant la guerre de Tchétchénie.
Avant de repartir, j'ai prêté un moment ma chaise longue à pédales aux 2 jeunes assistants du concierge, tout le monde a trouvé ça bien amusant. Et bien sûr je suis invitée à visiter la riante Tchétchénie...
Pendant les vacances de mes kinés et/ou les miennes, j'essaie de compenser les 3 séances hebdomadaires de rééducation épaule/poignet que je rate.
Sergey Ilyasafov : "Дагестан"
Mon chirurgien m'a dit que les bains d'eau de mer seraient bons pour moi. Et comme il y a 3 fois moins de sel par litre de Caspienne que par litre de Méditerranée, je prolonge les bains. L'eau est bonne, j'y passe plusieurs heures par jour. Le vent fait souvent déferler des vagues et il y a du courant : même sans les accessoires de KinéBulle, je peux faire travailler mes abaisseurs et mes rotateurs...
La côte daghestanaise n'est pas spécialement jolie ni très propre.
Le spectacle, c'est la diversité des tenues de bain et des styles de baigneurs. A la plage, de temps en temps je sors de l'eau pour prendre des photos.
Les touristes russes ont souvent un maillot de bain, mais les gens du coin se baignent majoritairement en caleçon, en short ou pantalons avec ou sans T-shirt, ou en robe, tête nue ou avec casquette, foulard, chapeau voire capuche "islamiquement correcte" pour les femmes (la population du Daghestan est majoritairement musulmane, avec là aussi une certaine diversité puisqu'il y a des soufis, des chiites et des sunnites "classiques", éventuellement vodka-compatibles).
Outre que ça économise l'achat de maillots de bain, ça permet aussi de se passer de crème solaire. C'est amusant de voir des baboushkas en robe longue plonger allègrement dans les vagues, en souriant de toutes leurs dents dorées.
Parfois, les baigneurs les plus chanceux et rapides attrapent un poisson à la main.
Il est temps que je vous présente ma nouvelle destination et ma nouvelle monture.
"Клятва", hymne daghestanais, successivement en avar et en russe.
La monture, dite Chaise longue à pédales, est un tricycle couché. C'est le modèle que j'avais classé 2ème sur ma petite liste, après essais de quelques tricycles couchés chez Bentoline à côté de Grenoble, et chez Cyclociel à côté de Lyon. J'avais une petite préférence pour le AZUB Tricon, mais j'ai trouvé une bonne occase pour un HP Velotechnik "Scorpion".
Avec cet engin, je peux pédaler confortablement pendant des heures sans provoquer ou accentuer mes douleurs aux épaules et poignets (séquelles de mon accident de mars 2017). Ca ne procure pas les mêmes sensations de pilotage qu'un vélo, et c'est globalement plus lent, mais ça peut être assez ludique : on verra si l'expérience est concluante.
J'en ai tellement bavé pour l'emballer la nuit précédant mon départ que je n'ai pas pensé à photographier le résultat. C'était pourtant assez réussi : en assemblant plusieurs cartons de tailles différentes, j'avais réussi à caréner les 3 roues et le pédalier, et à protéger la transmission en-dessous et le siège au-dessus, tout en permettant à l'engin de rouler sur les roues avant quand on le tenait par un bout de porte-bagages. J'ai quand même chopé de bonnes courbatures dans les épaules en le traînant du parking à l'enregistrement à Cointrin...
Quant à ma destination, je transite par Tbilissi pour aller au Daguestan ou Daghestan , un pays qui n'en est pas vraiment un, mais dont les habitants sont très fiers de détenir le record mondial de la diversité linguistique.
Dans une petite librairie-papeterie de Makhatchkala où je cherchais une carte du Daguestan, quand j'ai dit au propriétaire que je trouvais impressionnant qu'on parle 14 langues dans un petit pays de 3 millions d'habitants, il m'a immédiatement répondu avec un grand sourire qu'on recense pas loin de 40 langues ou dialectes, dont les 14 langues officielles et la majorité d'entre eux ne sont pas mutuellement intelligibles... Les langues officielles du Daguestan se répartissent dans 4 grandes familles : 9 langues caucasiennes appartenant à 4 sous-familles différentes, 3 langues turco-mongoles, une langue persane très minoritaire, et le russe que tous apprennent dès l'école primaire (ou même à la maison ou à la crèche) et utilisent spontanément comme langue de communication avec les inconnus. Plus précisément , on m'a expliqué que l'enseignement est dispensé en russe, mais tous les élèves ont des cours de langue dans au moins une langue locale.
La capitale de cette étonnante république du Nord Caucase russe est assez mal desservie. Via Moscou, correspondance avec une nuit d'attente et changement d'aéroport : un peu dissuasif avec mon bagage spécial... Mon détour par Tbilissi ne me fait évidemment pas gagner de temps, mais les escales (Istanbul, Tbilissi et Vladikavkaz) sont plus agréables. Et puis, j'essaierai peut-être d'ajouter le col Djvaris (2375m) à mon palmarès sur le chemin du retour. J'ai enchaîné 3 tronçons : un taxi avec un très grand coffre de Tbilissi à Kazbegi, en tricycle de Kazbegi à Vladikavkaz, puis un vieux taxi Lada avec galerie de toit de Vladikavkaz à Makhatchkala en traversant la Tchétchénie.
Se déplacer en tricycle couché, même à Grenoble où on voit des tas de vélos, ça ne passe pas inaperçu. Au Daguestan, les touristes étrangers sont rares, et les cyclotouristes très rares. Alors une touriste d'Europe occidentale visitant le Daguestan en chaise longue à pédales, je vous raconte pas... Des têtes étonnées et/ou hilares, ou des mains tenant un smartphone pointant son objectif vers moi, sortent des voitures qui me croisent ou me doublent. Je n'ai jamais aussi souvent été photographiée ou filmée ou interviouvée. Il n'est pas rare que mes interlocuteurs finissent par essayer l'engin, au bord de la route ou dans un hall d'hôtel. Bref, faut s'habituer à ce nouveau statut de star ou de bête de foire, mais globalement, c'est bien sympa !