Voilà, je suis arrivée à ma prochaine destination, que vous aviez probablement reconnue grâce aux indices de l'article précédent : le Kazakhstan,
et plus précisément pour commencer, son ancienne capitale Almaty, que les Kazakhs russes âgés continuent d'appeler Alma-Ata (alma, en kazakh, c'est la pomme). Pas encore eu le temps de visiter la ville, mais j'ai passé en chemin prés de 5 h dans le tout nouvel aéroport d'Istanbul, excentré au nord de la ville.
Je n'ai pas essayé de compter s'il avait encore plus de portes d'embarquement, mais la surface est a l'évidence plus grande car la foule habituellement dense est diluée dans des allées spacieuses. Les premiers WC le long de l'immense galerie des arrivées étaient à la turque et avec douchette . J'ai retrouvé les boutiques duty-free qui offrent des dégustations de loukoums (j'aime bien ceux à la rose, et pistache-grenade) et testé les nouvelles banquettes des salles d'attente.
Elles ne sont pas toutes, loin s'en faut, optimisées pour qu'on s'y allonge (forme en arc de cercle, ou parfois accoudoirs en travers) mais j'ai fait une sieste confortable.
Enfin, arrivée du 2ème vol à l'aube à Almaty. J'ai pu remarquer une grande diversité parmi les passagers de la file réservée aux passeports kazakhs : type russe, mongol, chinois ou japonais, avec bien sûr tous les mélanges possibles. Et une rareté qui ne semble pas si exceptionnelle ici : des Kazakhs métis blonds aux yeux bleus avec des traits de type mongol très marqués.
La fatigue et le manque d'entraînement aidant, j'ai confondu un billet de 10000 avec un de 1000 KZT, le bagagiste-porteur-rabatteur du taxi a mieux gagné sa journée que le conducteur... Enfin, il a dû faire un effort pour traîner et hisser jusque dans le coffre mon encombrant et pesant bagage spécial : mon nouveau tricycle couché à suspension intégrale et châssis pliant, dont je parlerai quand j'aurai suffisamment roulé avec.
En attendant, voici la page qui lui est consacrée sur le site de son fabricant :
AZUB Ti-Fly
Il est temps que je vous présente ma nouvelle destination et ma nouvelle monture.
La monture, dite Chaise longue à pédales, est un tricycle couché. C'est le modèle que j'avais classé 2ème sur ma petite liste, après essais de quelques tricycles couchés chez Bentoline à côté de Grenoble, et chez Cyclociel à côté de Lyon. J'avais une petite préférence pour le AZUB Tricon, mais j'ai trouvé une bonne occase pour un HP Velotechnik "Scorpion".
Avec cet engin, je peux pédaler confortablement pendant des heures sans provoquer ou accentuer mes douleurs aux épaules et poignets (séquelles de mon accident de mars 2017). Ca ne procure pas les mêmes sensations de pilotage qu'un vélo, et c'est globalement plus lent, mais ça peut être assez ludique : on verra si l'expérience est concluante.
J'en ai tellement bavé pour l'emballer la nuit précédant mon départ que je n'ai pas pensé à photographier le résultat. C'était pourtant assez réussi : en assemblant plusieurs cartons de tailles différentes, j'avais réussi à caréner les 3 roues et le pédalier, et à protéger la transmission en-dessous et le siège au-dessus, tout en permettant à l'engin de rouler sur les roues avant quand on le tenait par un bout de porte-bagages. J'ai quand même chopé de bonnes courbatures dans les épaules en le traînant du parking à l'enregistrement à Cointrin...
Quant à ma destination, je transite par Tbilissi pour aller au Daguestan ou Daghestan , un pays qui n'en est pas vraiment un, mais dont les habitants sont très fiers de détenir le record mondial de la diversité linguistique.
Dans une petite librairie-papeterie de Makhatchkala où je cherchais une carte du Daguestan, quand j'ai dit au propriétaire que je trouvais impressionnant qu'on parle 14 langues dans un petit pays de 3 millions d'habitants, il m'a immédiatement répondu avec un grand sourire qu'on recense pas loin de 40 langues ou dialectes, dont les 14 langues officielles et la majorité d'entre eux ne sont pas mutuellement intelligibles... Les langues officielles du Daguestan se répartissent dans 4 grandes familles : 9 langues caucasiennes appartenant à 4 sous-familles différentes, 3 langues turco-mongoles, une langue persane très minoritaire, et le russe que tous apprennent dès l'école primaire (ou même à la maison ou à la crèche) et utilisent spontanément comme langue de communication avec les inconnus. Plus précisément , on m'a expliqué que l'enseignement est dispensé en russe, mais tous les élèves ont des cours de langue dans au moins une langue locale.
La capitale de cette étonnante république du Nord Caucase russe est assez mal desservie. Via Moscou, correspondance avec une nuit d'attente et changement d'aéroport : un peu dissuasif avec mon bagage spécial... Mon détour par Tbilissi ne me fait évidemment pas gagner de temps, mais les escales (Istanbul, Tbilissi et Vladikavkaz) sont plus agréables. Et puis, j'essaierai peut-être d'ajouter le col Djvaris (2375m) à mon palmarès sur le chemin du retour. J'ai enchaîné 3 tronçons : un taxi avec un très grand coffre de Tbilissi à Kazbegi, en tricycle de Kazbegi à Vladikavkaz, puis un vieux taxi Lada avec galerie de toit de Vladikavkaz à Makhatchkala en traversant la Tchétchénie.
Se déplacer en tricycle couché, même à Grenoble où on voit des tas de vélos, ça ne passe pas inaperçu. Au Daguestan, les touristes étrangers sont rares, et les cyclotouristes très rares. Alors une touriste d'Europe occidentale visitant le Daguestan en chaise longue à pédales, je vous raconte pas... Des têtes étonnées et/ou hilares, ou des mains tenant un smartphone pointant son objectif vers moi, sortent des voitures qui me croisent ou me doublent. Je n'ai jamais aussi souvent été photographiée ou filmée ou interviouvée. Il n'est pas rare que mes interlocuteurs finissent par essayer l'engin, au bord de la route ou dans un hall d'hôtel. Bref, faut s'habituer à ce nouveau statut de star ou de bête de foire, mais globalement, c'est bien sympa !
On a repassé une journée complète à Vladikavkaz, pour relaxer mes épaules, contacter l'agence et éclaircir nos problèmes de pogranitchnikh propuskov : pas de bol, notre permis ossète était, comme le permis kabardino-balkar, limité à 2 districts .
Exit donc la visite du parc national de Stur-Digora... On se contentera de faire une rando du côté de Tsey et une vers Verkhniy Fiagdon.
En attendant, je vous propose une petite visite du tram de Vladikavkaz, que nous avons souvent utilisé pour nous déplacer car la ville est étalée en longueur le long du Terek, et quand on trimballait mon chariot-pulka, c'était le mode de transport le plus pratique.
Il fallait s'y mettre à 2 pour monter les marches, mais une fois dans le tram, on pouvait ranger le chariot entier entre les rangées de sièges sans gêner le passage.
Le tram de Vladikavkaz a été inauguré en 1904, avant même l'ère des Soviets. Il a été municipalisé en 1918, et partiellement détruit par des bombardements en 1942 pendant la bataille du Caucase. Une partie des rails restants avaient été déplacés pour réparer une voie ferrée stratégique. Il a été reconstruit entre 1945 et 1950, puis développé.
Le réseau comporte maintenant 10 lignes, et son plan est assez déroutant. Ce n'est pas un quadrillage "maillé" , ni un réseau "en étoile". Ce serait plutôt le genre pieuvre, voire plat de spaghettis.
Vous pouvez remarquer sur le plan une grande boucle centrale intégralement parcourue par les 10 lignes, 5 la parcourant dans le sens des aiguilles d'une montre, 5 en sens inverse, sans corrélation entre numéro de ligne et sens de parcours.
Sur cette grande boucle, qui fait jusqu'à 1 km de large, se greffent plusieurs branches, dont certaines sont elles-mêmes en boucle, parcourue par 2 lignes en sens inverse l'une de l'autre. Jusque dans les détails, on perçoit la main de l'artiste : voyez plutôt ce plan du terminus partiel (lignes 2 et 10) sur les lignes 5 et 9.
Original, non ? Enfin, faut pas être daltonien pour pouvoir utiliser un tel plan... Pour corser encore la chose sur le terrain, certains arrêts ne sont signalés que par de petites plaques à moitié rouillées accrochées aux câbles ou à un caténaire.
Le seul gros avantage, c'est que notre hôtel était sur la boucle centrale, donc quel que soit le tram dans lequel on montait, on repassait forcément devant notre hôtel, éventuellement après avoir fait tout le tour de la ville dans les grandes longueurs...
Un jour, quand on a demandé à 3 passants assis sur un banc le long des rails quel tram prendre pour rentrer vers la gare, ils nous ont répondu aimablement "N'importe lequel. Mais si vous êtes pressées, prenez le 4 ici ou le 8 là. Si vous voulez visiter le centre-ville au passage, prenez le 1 ici ou le 7 de l'autre côté." Si vous regardez attentivement le plan avec sa grande boucle, vous remarquerez en effet que le nombre de stations est très différent sur les 2 moitiés de la boucle (9 côté ouest, 16 côté est).
Le concept est amusant et finalement assez sympa pour le tourisme. Un peu moins pratique au quotidien ou si on est chargé : pour limiter l'attente, il faut parfois se poster à mi-chemin entre 2 arrêts "opposés" — souvent décalés — et courir prendre le premier tram qui passe à l'un ou l'autre arrêt.
La cabine du conducteur (ou, souvent, une conductrice) est ouverte, puisque c'est là qu'on achète les tickets. Comme dans pas mal d'autres villes russes, les tickets sont produits en rouleaux qui sont ensuite attachés dans la cabine, ou directement en collier ou à la ceinture par les agents chargés de les vendre.
Le conducteur peut faire des arrêts-minute en-dehors des stations : il enfile son gilet fluo avant de descendre acheter son pain ou un petit casse-croûte.
Le conducteur doit aussi enfiler son gilet quand il sort dépanner son tram ou son trolleybus. Je vous ressors une photo d'archive montrant une conductrice avec son seyant gilet fluo réglementaire, de sortie sur le toit de son trolleybus.
Avant de fonder son école de langue russe à Irkoutsk, Marina Valerievna, ma prof de russe était instit' dans l'école d'un village au nord de l' oblast d'Irkoutsk, à plus de 1000 km : elle y allait chaque semaine en avion. C'est aussi ça, la Sibérie : 2h40 de vol pour un trajet domicile-travail...
Quant à moi, j'ai parcouru en train environ la moitié des 9000 km de la voie du TransSib.
Juste assez pour m'imprégner un peu de la notion des distances en Sibérie (on franchit, en gros, un fuseau horaire par jour), et pour me rendre compte qu'il y a plus difficile que l'hiver en Sibérie : le dégel.
Les fleuves du plateau sibérien se déversent en effet presque tous dans l'Océan Arctique : l'aval est encore gelé quand l'amont dégèle, donc la plaine se transforme en vaste mer de boue... Le résultat est ce que les Russes appellent распутица "(raspoutitsa)", un nom venant du fait que de nombreuses routes deviennent impraticables à cette période de l'année.
La voie ferrée du Trans-Sib a marqué le développement de la Russie vers l'Asie, mais bien avant la création de cette voie, des hordes mongoles avaient déferlé sur l'Europe, et des bataillons de cosaques étaient allés conquérir la Sibérie.
Petit témoignage de ces aller-retour : je vous propose d'écouter 2 chants traditionnels. Le premier est un chant cosaque interprété par un groupe de Krasnoïarsk, à la longitude de l'Altaï mongol ; le second est un chant kalmouk de la région du delta de la Volga, en rive ouest de la mer Caspienne. Et je vous promets que je ne les ai pas inversés !
Humour sibérien
A propos des distances... Lors de mon stage de russe en 2014 à Novossibirsk, l'école nous avait organisé un week-end "à la datcha", chez une amie d'Anna, une des profs de russe. C'était à la campagne, en lisière de forêt, "tout près de Novossibirsk". Notre train пригородный (l'équivalent russe du train de banlieue) roulait déjà depuis 2 heures.
— Anna : Ah, on est presque arrivés, on descend à la prochaine gare, dans 1/2 heure.
— Etudiant belge : Vous savez, chez moi, en 2 heures de train, on aurait déjà traversé tout le pays.
— Anna : Ah bon ? C'est incroyable ! Vous avez des trains si rapides en Belgique ?
C'est terrible, en une journée, je dépense plus de la moitié du pétrole que j'ai patiemment économisé en me passant de voiture et de chauffage pendant le reste de l'année...
Le changement d'avion à Moscou-Domodedovo s'est bien passé.
Au contrôle de police, je suis tombée sur une jeune qui est devenue toute souriante quand je lui ai dit, en russe, que j'allais passer quelques semaines à Irkoutsk : c'est sa région natale. Le carton du vélo, que j'avais chargé autant que possible (trousse à outils, thermos, piquets de tente, piolet...) vu qu'il bénéficie d'un forfait vélo et n'est généralement pas pesé à Genève, n'a pas échappé au pesage à Moscou. La balance indiquait 22 kilos : ouf ! A 23 il aurait changé de tranche tarifaire...
J'ai ensuite attendu mon 2ème vol en trinquant avec un photographe portugais-mozambico-genevois qui partait faire un reportage sur les chamanes bouriates.
Le vol intérieur Moscou-Irkoutsk dure 2 fois plus longtemps que le Genève-Moscou. Je me sens déjà en Russie : plein de passagers quittent leurs chaussures chaudes dès qu'ils prennent place ; au casse-croûte on a de la kasha aux champignons et une salade de betterave.
Et à l'arrivée, tout le monde sort les vêtements chauds des sacs. Pourtant, il ne fait pas froid ce matin : -17.