A la découverte du Ouïghouristan / Открывая Уйгурстан

Une longue journée de piste puis route m'a conduite de Charyn à Chundzha, la 2ème ville du district de Zharkent.

Zharkent. Enceinte de l'ancienne mosquée chinoise

Interprète non identifié : "Liwen yarlar" (chant uygur)

C'est une petite ville terne, peuplée majoritairement de Ouïghours (ou Uyghurs, ou Uygurs...). Le premier gars qui m'a abordée, intrigué par mon tricycle, m'a conseillé 2 adresses pour manger et dormir, et il avait l'air sympa. J'ai suivi ses conseils, et j'ai bien fait : j'ai mangé le meilleur lagman de mon périple (une spécialité à base de ragoût viande + légumes émincés, herbes, épices et nouilles fraîches).

Chundzha centre-ville...

A l'hôtel, j'ai bavardé avec une équipe de géologues-cartographes russo-kazakhs en mission. Ils venaient d'Ust-Kamenogorsk, à 1200 km au nord dans l'Altaï kazakh, et s'ennuyaient ferme le soir dans ce bled. Ils m'ont offert une bouteille de miel de chez eux, en échange de la promesse que si j'allais visiter l'Altaï, je leur rendrai visite en apportant un peu de fromage et de vin français. Ils ont été amusés quand je leur ai dit combien je payais le kilo de miel bio en France : leur cadeau prenait de la valeur !

Zharkent. Chauffeurs de taxi en attente de clients face à la sortie du bazar

Le lendemain, la pluie et la monotonie du paysage (cf prochain épisode) m'ont incitée à faire un tronçon en taxi, jusqu'à Zharkent. En proposant chaque fois un peu moins de tengue par km que la fois précédente, je m'approchais des prix non touristiques ; mais aucun chauffeur ne m'a jamais demandé des sommes exorbitantes par rapport à ce qui se pratique localement.

Loisirs actifs pour les jeunes de Zharkent : désherbage du parvis de la mosquée chinoise

A Zharkent, chef-lieu de la région uygur du Kazakhstan, j'ai commencé par visiter la mosquée chinoise. Je croyais que ce serait "très touristique", mais en fait peu de touristes viennent jusqu'ici, bien qu'on ne soit qu'à 300 km d'Almaty par la route directe.

Zharkent. Annexe de l'ancienne mosquée chinoise

Contrairement à ce que je croyais, ce n'est pas une mosquée dungane (une minorité musulmane chinoise), mais le résultat d'une lubie d'un potentat local, qui avait confié la construction de la mosquée à un architecte chinois. Le bâtiment principal est en bois peint, et les toits font plus penser à une pagode qu'à une mosquée.

Zharkent. Toit de l'ancienne mosquée chinoise

J'ai longuement flâné au bazar, encore un haut lieu du recyclage de containers ferroviaires (comme à Osh, Murghab, Khorog,...).

Zharkent. Une allée du bazar peu avant la fermeture

On trouve de tout, et en particulier énormément de vêtements ou d'accessoires made in China : Zharkent est à moins de 40 km de la frontière chinoise, et le poste-frontière de Khorgos est un point de transit international important pour le fret, sur les "Nouvelles routes de la Soie".

Zharkent. Etal de tissus au bazar central

La première famille uygur que j'avais rencontrée, dans le canyon de Charyn, m'avait spontanément tendu un smarphone avec des vues d'Ürümqi et de Kashgar sur fond de musique traditionnelle uygur, pour me donner envie de visiter leur pays. Enfin, pays, façon de parler, puisque l'Ouïghouristan n'a pas d'existence légale.

Zharkent. Une rue entre bazar et ancienne mosquée

La plupart des OuÏghours (environ 11 millions) vivent dans le Xinjiang, une province chinoise historiquement connue sous le nom de Turkestan oriental. Ils sont aussi majoritaires dans le sud-est du Kazakhstan, mais comme je vous ai peut-être déjà dit, le Kazakhstan est plein de vide, donc là, ils sont moins de 300 000.

Dans le bazar de Zharkent à l'heure de la fermeture

En résumé, les OuÏghours sont à l'origine un peuple altaïque qui a assimilé des tribus persanes, puis a été envahi par les Mongols, puis par les Chinois. De ces brassages, il reste un peuple linguistiquement et culturellement très proche des Ouzbeks (ça s'entend dans leur musique), mais devenus citoyens chinois de seconde zone. Et en me documentant à leur sujet pendant une petite averse à Zharkent, j'ai découvert que cette région d'Asie Centrale avait une histoire plus riche que je ne croyais : elle a aussi été habitée, dans l'Antiquité, par un peuple indo-européen disparu depuis, vraisemblablement venu de Sibérie, les Tokhariens.

Dans le bazar de Zharkent. Le gars avec la calotte ouzbek fait du change.

Les OuÏghours ne sont pas spécialement brimés au Kazakhstan, mais en Chine, si. Et pas de chance, le gouvernement kazakh préfère ménager son puissant homologue chinois plutôt que les Uygurs qui se risquent à passer la frontière pour demander le statut de réfugié politique chez leurs cousins turcophones.

Une boucherie dans une rue de Zharkent

Interprètes non identifiés : "Aldida" (chant uygur)

L'accueil chez les Uygurs kazakhs m'a un peu rappelé l'Ouzbékistan, et aussi, par certains côtés, le Kurdistan iranien. Les Uygurs sont bien centre-asiatiques, mais un peu moins russifiés, un peu plus souriants et avenants que les Kazakhs. Les Uygurs du Kazakhstan partagent avec les Kurdes d'Iran quelques lointaines racines culturelles (les Uygurs, turcophones, portent parfois un prénom persan, comme Azadi, Nargiz, Bakhtyar,...), et une situation géopolitique similaire. Et puis, à l'hôtel, il y avait une douchette dans les WC :-)

Passants uygurs dans le bazar de Zharkent

Bref, même si ces nuances seraient peut-être à peine perceptibles pour un voyageur non familier avec les cultures d'Asie centrale et d'Iran, j'ai apprécié mon petit détour en terre ouÏghoure, sans la pression de l'administration chinoise qui maintient sa "province autonome uygur" du Xinjiang sous surveillance étroite, un peu comme la Turquie le fait pour ses Kurdes, mais avec les redoutables moyens industriels de la Chine.

Zharkent. Automate des télécomm kazakhes avec son mignon petit rideau pare-soleil

Quand j'ai posé discrètement une question à propos du sort des uyghurs chinois à un chauffeur de taxi uygur entre Chundzha et Zharkent (il portait un prénom d'origine persane et la calotte noire avec broderies blanches qu'on voit couramment en Ouzbékistan), il n'a pas été très bavard. Il s'est contenté d'acquiescer quand j'ai demandé si la vie était plus difficile pour les Uygurs côté chinois. Sans doute savait-il que quand des Uygurs kazakhs passent la frontière pour commercer, leur passeport kazakh ne suffit pas à les mettre à l'abri du Big Brother chinois...

Annexes

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